HISTOIRE DE CHAMEAU (Part 1 : fucking tourists)

De tous les bedouins de Petra, Jeff (probablement un diminutif de "Mohamed") fut probablement le plus achalant.
Ca m'a bien pris 20 minutes pour me debarasser de lui (et de son chameau) a l'entree du site, et un autre 25 minutes a la sortie, en toute fin d'apres-midi.
Jeff est le type qui te tombe tout de suite sur les nerfs, avec sa facon extremement fatiguante de te parler a deux pouces du visage, comme si t'etais une page du Coran.
Restant calme et poli, je lui laissai savoir que je n'etais pas interesse a sa promenade a dos de chameau, et que je preferais marcher, a mon rythme.
En fait, depuis le debut de mon voyage, je me suis toujours fait un devoir de faire preuve de tact et de patience avec les autochtones, meme les plus harcelants. Un peu comme Celine a Vegas, je suis moi aussi une sorte d'ambassadeur canadien et je me dois d'etre a la hauteur de mon venerable passeport au Moyen-Orient.
Donc, si Jeff insiste pour que j'enfourche son chameau et qu'a bout de patience, je lui reponds : "Maybe tomorrow", on est tous d'accord que ca veut dire: " sacre-moi patience avec ton osti de chameau"... c'est ecrit noir sur blanc dans mon livre "diplomatie for dummies".
Mais Jeff ne l'a pas entendu de cette facon et c'est plus tard que j'appris qu'il avait passe la matinee a m'attendre, a l'entree du site, le lendemain.

C'est au moment de deguster mon 526e shish taouk en 3 mois, le lendemain soir, que Jeff est apparu dans le restaurant et se planta aggressivement devant moi. Sans sa casquette des Patriots de Pittsburgh, le crane liche comme un poussin, j'ai bien pris 10 secondes a le reconnaitre.
"Remember me?" qu'il me demande, avec le ton de Robert de Niro dans "taxi driver".
"Jeff! How are you?" lui repondis-je, la bouche pleine.
" Not good"
Comme il avait l'air de vouloir me sauter a la gorge, je me suis depeche de faire descendre ma bouchee. Etrangement ( ou stupidement), ma prochaine question fut:
"so, how is business?"
"Bad! because all fucking tourists, they just want to walk!"
Si j'avais a ecrire une suite a "Pulp Fiction", je jure que je ne manquerais pas d'y ajouter un chamelier, sous les traits de Joe Pesci, juste pour le plaisir de lui faire dire cette ligne.
Sur le coup, je me suis demande si j'allais devoir me battre pour avoir refuse un tour de chameau. Ca me ferait une belle histoire a raconter au retour, si seulement j'avais la certitude je revenir vivant...
Secouant la tete, je repondis:
" damned tourists!"
Etrangement, aussi epaisse que cette reponse puisse paraitre, ca lui a totalement calme les nerfs... il a vu en moi le confident, le gars pret a echanger sur l'injustice dont les chameliers sont victimes, et sur l'insupportable manie qu'ont les occidentaux de vouloir marcher...
On a donc discute pendant une heure , a refaire le monde, creant un paradis ou les touristes n'auraient pas de jambes et les chameliers domineraient le monde.
J'ai refuse son offre de me payer mon souper... Ca l'a un peu refroidi et insulte, mais je n'avais pas le choix: la premiere chose que tu veux eviter avec un chamelier, c'est de lui etre redevable... car si c'est le cas, aucune issue diplomatique possible: j'aurais ete oblige de passer ma prochaine escale a Petra sur son osti de chameau.