16 sept. 2010

Battambang

Mettons que la marche est haute après Angkor Wat, la destination cambodgienne suivante était vouée à paraitre plutôt ennuyante. Et en fait, c'est le commentaire que j'entendais fréquemment de la part des voyageurs qui arrivaient de Battambang. J'avais pas trop le choix, c'était le seul arrêt valable au retour vers Phnom Penh.
Dès le premier soir, j'ai croisé à nouveau Germain et Christelle, deux suisses que j'avais rencontrés à Siem Reap. Ils pensaient passer quelques jours dans le coin, mais après un après-midi à arpenter les rues banales du centre-ville, ont plutôt décidé de poursuivre leur route le lendemain matin, vers la frontière thailandaise.
La ville est traversée par une rivière, ce qui crée un solide potentiel de charme, si on y ouvre quelques restaurants, cafés, terrasses ici et là sur le long. Mais il n'y a malheureusement rien de ça: juste des boutiques de cellulaire et des papeteries (!) On marche en attendant qu'il se passe quelque chose, mais rien.
Je me suis décidé à lui accorder une deuxième journée et j'ai booké une journée à mobylette pour faire le tour de la région, avec un guide nommé Dollar Sam... impossible que ce soit son vrai nom, et pourtant, oui!... je sentais que c'était un signe que ma journée allait me coûter plus cher qu'à l'habitude.
Je ne me suis pas trompé. Mais ce n'était pas pour les raisons que je croyais. (à suivre plus bas)

Le circuit commence par un ptit tour de tuk-tuk sur rails, l'attrape-touriste par excellence... on se fait charger 5$ (une fortune ici) pour glisser pendant 25 minutes le long de la voie ferrée qui se termine abruptement, là où les rails ont disparues. Le conducteur doit donc s'arrêter et tourner son véhicule de bord, à bout de bras, avant de revenir à la case départ. (et quand un "train" arrive en sens inverse, il doit à nouveau tout débarquer puis tout remettre une fois la voie libre).
Fun quand même. La campagne environnante est de toute beauté, mais le wagon fait un tel vacarme qu'on peut difficilement apprécier le côté bucolique de l'activité.

Puis je suis embarqué sur la moto de Dollar Sam et on a continué notre virée. Il s'arrêtait ici et là pour que je prenne des photos.


Mais le moment fort fut la visite de Phnom Sampeau, un temple au sommet d'une colline située en plein centre de la plaine de Battambang. Vue incroyable tout autour, et au sommet lui-même, on peut trouver l'entrée des caves où plusieurs victimes des Khmers Rouges, sommairement décapitées, étaient poussées pour disparaitre tout au fond. Et probablement pour varier un peu la routine, les victimes-enfants étaient balancés par les jambes pour se faire fracasser le crâne juste avant d'être eux aussi lancés tout au fond. Charmant.
Les squelettes récupérés sont maintenant entassés dans un petit temple, au creux de la grotte.
Inutile de vous dire qu'on retient son souffle quand on se retrouve dans un endroit pareil. Le cerveau bouillonne à essayer de comprendre comment tout ça a été possible, mais il n'y a aucune explication logique. Ça défit l'imagination. De la folie pure.

Pour 10$, ce fut une journée bien remplie. Ça m'a permis de jaser pas mal avec Dollar qui m'a raconté sa propre histoire liée aux Khmers Rouges. Il n'était pas né à l'époque mais son frère (5 ans) et sa soeur (6 mois), ainsi que plusieurs oncles et tantes, ont été éxécutés pendant cette période épouvantable.
Depuis que son père est décédé il y a 2 ans, Dollar est maintenant le chef de la famille et veille sur ses 5 plus jeunes frères et soeurs, ainsi que sur sa vieille mère malade.
Bon, en temps normal, j'aurais pris ça pour des belles histoires montées pour soutirer de l'argent au riche voyageur que je suis. Mais comme on s'est arrêté chez lui juste avant notre périple, j'ai pu rencontrer sa mère et sa soeur à la porte du taudis qui leur servait de maison, au beau milieu d'un bidonville crasseux. La vraie misère. On ne pouvait pas vraiment voir ça autrement.
Toujours en mode "méfiance", je me disais qu'il m'avait amené là pour que j'ai la preuve de sa situation réelle et que ça m'empêche d'avoir des scrupules à allonger quelques billets de plus.
Peut-être, mais il m'a semblé aussi qu'il prenait le risque que je vois son jeu, tout désespéré qu'il était.
Ça m'a tenté de lui donner un coup de main. Mais autrement que juste en lui donnant un 20$ de plus. Au fond, avec ça, oui la famille aurait eu de quoi bouffer pour quelques semaines, mais tout aurait été à recommencer le mois suivant.
Il m'avait parlé de sa soeur qui était aussi en âge de contribuer, mais qui, en l'absence de formation, ne pouvait trouver mieux à faire que de rester à la maison pour s'occuper de sa mère. Elle a toujours eu un immense intérêt pour le maquillage et la coiffure, deux domaines très en demande, alors qu'une petite partie de la classe moyenne commence à goûter aux joies de s'offrir des petites gâteries esthétiques du genre.
Le cours de un an, suivi d'un "stage en entreprise", coûte 100$. Une fortune que Dollar peut difficilement mettre de côté, lui qui peine à nourrir tout le monde. Mais en même temps, seul un revenu supplémentaire provenant d'un autre membre de la famille serait la lumière au bout de l'interminable tunnel.
J'aurais pu juste fermer ma gueule, lui donner 100$ et lui souhaiter bonne chance, mais je ne pouvais pas faire ça, je voulais être certain de son histoire, être certain que je ne me faisais pas fourrer à quelque part... écoute, je ne donne jamais une cenne aux sans-abris que je croise dans la rue chez-nous, alors no-way que j'allais allonger aussi facilement un billet brun à un kid qui habite à l'autre bout du monde et qui essaie de me faire brailler avec ses histoires.
J'ai l'air cave, mais des fois le monde pense que je le sais pas.
Je lui ai d'abord demandé de me conduire à l'école où se donnaient le cours, pour que je rencontre la prof chargée d'enseigner à sa soeur. Elle était justement dans son petit salon pas loin du centre-ville. Dollar lui a expliqué la situation. Sa soeur est ensuite venue nous rejoindre, un peu consternée. Ok, j'avais les preuves que je cherchais. J'ai donné 100$ à la prof après avoir fait signer un simili-contrat sur feuille mobile à tout ce beau monde, en leur disant que j'avais des amis au gouvernement cambodgien (parmi les plus corrompus de la planète, un peu comme le Québec!) et que j'allais revenir l'an prochain pour voir l'état des choses (deux grosses menteries).
Dollar m'a ensuite reconduit à mon hôtel. Les routes sont déjà assez dangereuses comme ça, j'avais pas besoin que mon chauffeur ait les yeux plein d'eau.
J'étais content de ma shot, mais en même temps j'en revenais pas de voir combien une contribution aussi ridicule pouvait avoir de si grosses répercussions. Cibler un don, tout en prenant les quelques heures nécessaires pour s'impliquer et analyser la situation de façon lucide, et surtout montrer clairement que je n'étais pas là pour faire rire de moi : J'ai sorti mes gros yeux méchants à tout le monde en disant "Je veux des résultats!"
Reste maintenant à voir si sa soeur sera sérieuse, appliquée, et performera de façon à pouvoir faire sa part pour la famille dès l'an prochain. Ça, c'est le plus gros de la job à mon avis.
En tout cas, le plus trippant est que, si un jour je retourne à Battambang, j'ai des bonnes chances d'avoir une belle manucure et une coupe de cheveux gratis.

6 commentaires:

Christine a dit...

Quel beau geste! Et quelle bonne idée de payer le cours plutôt que lui donner l'argent qui aurait sûrement été dépensée pour autre chose. Un don généreux, et qui pourra changer leur vie à jamais, je le souhaite! Contente de te lire a nouveau :) Christine xx

ta soeur a dit...

wow!!!ben je suis fière de toi!!

xxoxoxox

Luigi a dit...

heille merci les filles.
c'était pas un gros montant, mais je vais quand même devoir couper dans les souvenirs et les cadeaux de Noel cette année... merci pour votre sacrifice! ;-)

Véronique Meunier - Triathlon a dit...

Bon, j'avais du retard à reprendre pour lire mes blogs favoris. Ben, comme dirait mon amie Karine: Good job! T'as bien fait d'aider comme ça! Ça me rappelle la fois qu'un junkie voulait me quêter de l'argent pour aller s'acheter des seringues à la pharmacie. J'avais un peu de temps, alors je lui ai dit: non, je ne te donnerai pas d'argent, je vais aller l'acheter avec toi. Le gars est resté pas mal surpris (et comme je connais ce genre de junkie manipulateur), j'ai aussi rajouté que c'est tout ce que je lui offrais, que je ne lui donnerais rien d'autre. On est allé au Pharmaprix au coin de Mont-Royal et St-Laurent. La pharmacienne a été très surprise. En sortant de la pharmacie, le gars m'a demandé: "tu peux me donner de l'argent pour que je prenne l'autobus parce que je reste à Laval". Je lui ai répondu: qu'est-ce que je t'ai dit au début avant d'aller acheter tes seringues? Je ne lui ai pas donné le 2$ qui lui aurait permis de retourner plus rapidement, question de principe... mais peut-être que je lui ai évité d'attraper le sida...

Anyway... En passant, je trouve que le jeune singe a des oreilles de Spok!!! :-)

En plus d'une coupe et d'un manucure, moi j'dis que tu devrais aussi de faire bleacher, t'sais tant qu'à faire!!!

Anonyme a dit...

Bravo l'ami,
rien à redire,
il n'y a qu'à applaudir!
Je ne prends pas le temps de parcourir toutes les pages de tes aventures, mais cette dernière péripétie me ravit.
Je venais juste chercher ta description de Moyna, rencontrée à Istanbul le samedi 7 octobre 2006. Elle apparaîtra dans mon récit de voyage, pour peu que celui-ci soit publié un jour! avec ton blog en lien cela va de soi. (Sauf si cela ne te convenait pas?)
Bon vent à toi,
Au plaisir de revenir te lire,
François

Anonyme a dit...

Bravo mon gars ! Tu nous tiendras au courant pour le suivi de cette affaire là ?
Tonton